Zéro

Il s’était rarement regardé comme ça dans le miroir. Grâce à celui-ci, il regarda de nouveau ses yeux qui brillaient d’une incroyable détermination. Ces mêmes yeux bruns qui semblaient assortis avec ses cheveux châtins avaient changé depuis quelques jours déjà. Environ au même moment où il avait décidé que tout était terminé. Non, c’était bel et bien la première fois que, comme lui dans ce miroir, les gens pouvaient lire cette volonté et cette détermination dans son visage. Le moindre que l’on pouvait dire, c’était « mieux vaut tard que jamais! » Après tout, Marc allait bientôt avoir trente ans.

Avait-elle quelque chose à voir dans cette décision? Sans doute. Il sortit le rasoir qu’il avait acheté la veille à la pharmacie. Du plus loin qu’il se souvenait, il n’avait jamais eu la tête rasée. Il avait toujours gardé ses cheveux à une bonne longueur. L’effet allait probablement surprendre, mais ça lui importait peu. Le plus important pour lui était de ne pas être reconnu dans la rue. C’est ce qu’il se répéta chaque fois qu’il vit une épaisse mèche de cheveux tomber dans son lavabo. Un peu absent, il continua de fixer ses cheveux tomber alors qu’une de ses mains tenait le rasoir qui passait sur toute la surface de son crâne. Rapidement, le rasoir eut terminé et Marc se dévisagea un long moment dans le miroir. À présent, il ne pouvait plus reculer, ça c’était certain.

Même rendu à son âge, il n’avait pas grand chose. Il faut dire qu’éventuellement, il prévoyait partir avec elle, alors il avait arrêté d’acheter des meubles. Arrêter de penser à tout ça semblait vraiment impossible. Il fit le tour de son studio et fit rapidement le tri de ce dont il avait absolument besoin, de ce qui allait lui manquer et de ce qui lui était égal de laisser. Au fond, il le savait, c’était cet endroit qui allait vraiment lui manquer. Il retourna près de son lit avec son plus gros sac à dos. Par-dessus son couvre-lit, il avait déjà placé le linge qu’il apportait. Rapidement, il choisissa ce qui apparaissait le plus logique d’apporter et abandonna le reste. Il soupira alors qu’il retraversait pour une des dernières fois le petit logement glauque. Il retourna dans la salle de bain et fourra dans son sac sa brosse à dents, du dentifrice et du savon. Pour la septième fois aujourd’hui, il sentit des larmes couler le long de ses joues. Ignorant la tristesse qui l’envahissait, il entreprit de nettoyer l’évier et de jeter tous ses cheveux dans la toilette. Il n’était pas stupide. Des recherches auraient bientôt lieu ici. Ne désirant pas vraiment être retrouvé de sitôt, il n’allait tout de même pas laisser de cruciaux indices dans son appartement. Après quelques secondes d’hésitation, il fourra aussi le rasoir dans son sac. Pas parce qu’il avait l’intention de se raser fréquemment la tête et la barbe, mais plutôt pour s’en débarasser de façon plus subtile. Enfin. Ça y était. Il referma son sac et opta finalement pour prendre le temps de revenir à lui avant de quitter une fois pour toutes cet endroit.

Il prit de longues minutes pour se rincer le visage et reprendre son souffle. Il alla ensuite s’assoir sur son divan et regarder son celullaire, ses clés et son portefeuille qu’il avait déja abandonnés sur la petite table d’appoint à droite du fauteuil. Il aurait beaucoup trop facilité la tâche des enquêteurs s’il avait décidé de partir avec toutes ses cartes. Il aurait rapidement été retracé grâce à ses opérations banquaires. La veille, avant d’aller s’acheter de nouveaux vêtements sombres, il s’était donc rendu au guichet le plus proche pour retirer toutes ses économies. Marc n’allait donc même pas apporter ses pièces d’identité.

Résolu, l’homme enfila enfin son chandail à capuchon vert foncé et s’empara de son sac à dos pour le mettre sur son dos. Habitué à avoir l’air d’un politicien lorsqu’il travaille dans son bureau d’architecte, il serait dur pour ses proches de le reconnaître avec cette barbe de quelques jours, ces vêtements et dépourvu de cheveux. Pour une dernière fois, il balaya du regard son petit chez-soi qu’il laissait aujourd’hui derrière lui. Le coeur serré, il jeta pour une dernière fois un coup d’oeil à ce cadre de Seether qui ornait son salon, il regarda une dernière fois ces murs dont la partie inférieure était recouverte de lambris. Il vérifia enfin que l’argent était toujours au creux de ses poches. Sentant la liasse de billets dans sa main, il sortit enfin, en prenant bien soin de fermer les rideaux derrière lui et de bien barrer la porte avec la clé dissimulée sous une marche. Sortant en trombe, il s’arrêta net devant la voiture qu’il avait achetée quelques mois plus tôt. Il trouvait toujours que c’était une belle voiture et un bon achat. Pourtant, il allait la laisser derrière lui avec tout le reste et disparaître. C’était ce qu’il voulait après tout. Disparaître. Oui. C’était la bonne solution. La nuit était jeune. Il ne devait même pas être encore 23 heures. Il faisait beaucoup moins froid que les derniers jours. À travers le brouillard de ce temps humide, il contempla la lune. Cette pleine lune magnifique allait-elle le guider? Il ne se fiait pas trop sur ça. Alors qu’il commençait à marcher dans ce début de nuit de septembre, Marc s’arrêta devant une bouche d’égout. Se penchant, il regarda la clé qu’il avait prise sous les marches pour barrer la porte une dernière fois. Puis, il la lâcha et la regarda disparaître dans une des ouvertures de la structure de fonte. Il se releva et continua sa route sans se retourner. Ce soir, le temps était venu de recommencer tout à zéro.