L’encrier

L’homme cligna des yeux alors que sa voiture venait de s’engager dans la rue où se trouvait son travail. Il n’était toujours pas réveillé à 100 %. La bâtisse grise aux airs commerciaux semblait bien s’emboîter dans ce paysage de début avril. La brume qui s’était installée au cours de la nuit semblait maintenant en harmonie avec le temps plutôt grisonnant. Fraîchement rasé et bien confiant au volant de son pick-up assez récent, l’homme de 26 ans prit une gorgée de café dans son thermos. Pour la plupart des mortels, commencer son quart de travail à 4 h du matin était quelque chose d’inconcevable. Pourtant, dans son métier, c’était monnaie courante!

Il cligna des yeux en rentrant dans l’immense local, tellement la lumière était intense. Les deux grosses presses Heidelberg faisaient assez de bruit pour obliger les différents employés à crier pour se comprendre. La plus vielle, celle avec laquelle Nickolas travaillait, était la plus bruyante. Il était en avance d’environ dix minutes. Après être allé porter sa boite à lunch, il alla poinçonner pour ensuite rejoindre le pressier qu’il allait remplacer. Son margeur devait aussi arriver sous peu. Il regarda la lecture du densitomètre qu’Alain venait de prendre. Tout avait l’air sous contrôle. Il vérifia ensuite que tous les contrats à venir étaient en process, donc en quatre couleurs, et remit de l’encre dans tous les encriers.

Déjà 14 h. La journée avait passé en coup de vent. État donné que son margeur n’était finalement jamais arrivé, Nickolas n’avait pas vraiment arrêté, considérant qu’il pilait du papier chaque fois qu’il en avait l’occasion. Encore deux heures à faire. Constatant que c’était déjà jeudi et qu’il travaillait en temps supplémentaire, il n’avait aucun problème à continuer encore deux heures. De toute façon, il s’était tellement couché tôt qu’il lui restait encore beaucoup d’énergie. Alors que la presse roulait, il appuya sur un bouton pour en sortir une feuille. Aussitôt qu’il la vit, il arrêta la machine. Il se souvenait d’avoir augmenté l’encre partout. Pourtant, l’image devenait de plus en plus pâle. Laissant tomber la feuille dans un bac de récupération, il monta sur le marche-pied pour faire le tour des unités. Il constata rapidement que deux encriers étaient déjà vides.

Après avoir refermé la porte du réfrigérateur, il ouvrit sa bière d’un geste brusque. Tout en lançant le caps sur le comptoir, il se mit à marcher vers la petite pièce qui, il y a quelque mois à peine, était devenue la chambre du bébé. Il s’adossa sur le cadre de la porte et se mit à regarder son fils de six mois qui dormait profondément dans son petit lit. Pour rien au monde, il n’aurait voulu échanger sa vie. Il n’était pas riche, mais l’argent ne l’intéressait pas tant que ça. Depuis maintenant deux ans, lui et sa blonde possédait cette magnifique maison et il avait maintenant le bonheur d’être père. En plus, il avait la blonde la plus belle, la plus merveilleuse et la plus intelligente qu’il pouvait rêver d’avoir. Continuant sa route dans le couloir de son humble demeure, il entra dans une autre pièce. Prenant place sur sa chaise, il commença par déposer sa bière. Enfin, son moment favori de la journée était arrivé : il allait écrire un peu. Il prit la plume déposée sur le beau bureau de bois qu’il gardait depuis des années et la trempa dans l’encre noire de son encrier favori.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *