Le mime

Je vous invite aujourd’hui à découvrir une nouvelle littéraire surprenante. Peut-être allez-vous vous reconnaitre dans ce personnage plutôt unique.

nouvelle littéraire surprenante

Ça y est. Enfin, le moment qu’il avait attendu toute la journée était arrivé. Le seul moment où il se sentait véritablement vivant était arrivé. Le mime allait bientôt se retrouver devant tout le monde et faire ce qu’il aimait le plus : jouer. Le temps de son numéro, il allait véritablement être une star. Il allait faire rire tout le monde comme jamais. 

Mercredi. 13H. À l’heure comme à son habitude, le mime arriva dans le vestiaire. Pendant tout son trajet à vélo, les mêmes idées lui avaient traversé l’esprit. Comme chaque fois, il s’était imaginé rentrer dans le vestiaire et jaser avec tout le monde, d’un air léger et décontracté. Il savait exactement quoi dire pour ne pas avoir l’air étrange, il ne créait pas de malaise, les discussions coulaient facilement avec lui. Et pourtant… 

Lorsqu’il arriva dans le local devant chaque personne, ce maudit mur se dressa. Ce mur qui l’empêchait de leur parler. Ce mur qui faisait qu’il accélérait le pas devant chaque personne et que chaque fois, il rentrait un peu plus dans ce personnage duquel il était un peu prisonnier. Travailler dans un cirque avait tout de même plusieurs avantages. Le mime adorait aller voir les animaux pour leur parler et leur tenir compagnie. Il aurait bien aimé les flatter, mais il avait toujours refusé lorsque les dresseurs lui offraient. Pourquoi? Il n’en avait aucune idée. La peur de déranger, sans doute.

18H. L’heure du souper arrivait. Boîte à lunch à la main, il cherchait du regard une table ou une place un peu plus isolée. Il finit par remarquer un gars qui était à sa première journée. Bien qu’il s’était entraîné avec ses comparses jongleurs tout l’après-midi, il semblait être seul pour manger son souper. Son état d’esprit changea un peu. Soudain, il eut envie d’aider le jeune homme à s’intégrer. Ironique, en considérant qu’il était sans aucun doute celui qui s’était le moins bien intégré de toute la troupe… Toujours est-il qu’il se concentra sur son expérience au sein du cirque comme tremplin pour avoir confiance en lui.

Il alla à la rencontre de l’apprenti jongleur et se mit à jaser avec lui. Évidemment, les premières minutes, il retrouva son vieil ennemi qui se dressait entre lui et le jeune homme. Toutefois, étant donné que c’était leur première rencontre et qu’il savait que le jongleur n’avait aucune opinion sur lui, c’était un peu comme s’il n’avait rien à perdre. Allez savoir… quelle est la différence entre se soucier de la première impression de quelqu’un et se soucier de l’opinion de quelqu’un qu’on voit chaque jour? Le mime n’était même pas certain de comprendre ses propres raisonnements.

Toujours est-il qu’en l’espace de quelques minutes, le mime se fit un nouveau meilleur ami. Il réussit à être drôle et rien n’était forcé. Les blagues venaient naturellement à l’esprit du mime, ça sortait pratiquement tout seul et le jongleur éclatait de rire. Le cœur léger d’avoir un nouveau comparse, le mime était gonflé à bloc pour son numéro. Surtout que c’était son moment préféré de la journée. Bien que c’était le seul moment où il était véritablement habillé en mime, c’était aussi le seul moment où il avait l’impression d’être populaire et d’être aimé. 

Lorsque le cadran sonna, le mime sursauta. Il cligna quelques fois des yeux avant de pousser un long soupir de découragement. L’homme n’avait même pas envie de se lever. Même si l’artiste avait rendez-vous dans une heure pour une simple coupe de cheveux, la simple idée d’avoir à discuter avec un autre être humain le décourageait. Il aurait payé cher pour rester couché. Chaque fois qu’il voyait sa coiffeuse, c’était pareil. Relativement gêné, il ne commençait jamais la discussion et ne faisait que répondre aux questions qu’elle lui posait.

Il aurait voulu la faire rire et avoir l’air naturel et détendu, mais ce maudit mur transparent semblait de plus en plus solide d’une fois à l’autre. Et même s’il trouvait quelque chose de drôle ou de pertinent à dire, souvent, il n’arrivait pas à ouvrir sa bouche. La phrase résonnait dans sa tête, mais rien ne sortait. Il finit tout de même par se lever. 

Le spectacle était plutôt triste. Malgré un excellent emploi pour un simple mime et par conséquent un compte de banque bien garni, le condo du mime était très décourageant. La boîte de pizza du restaurant qu’il avait commandée la veille trônait par-dessus une pile impressionnante de papiers, de journaux et d’emballages de restauration rapide. Encore plus isolé depuis qu’il avait dû déménager pour obtenir ce poste au sein du cirque, il avait l’impression qu’entretenir son appartement n’allait servir à rien et que de toute façon, personne n’y viendrait. 

Après une heure de route, le mime se stationna enfin dans la rue en face de chez sa sœur. Cette dernière avait une belle grande maison. Une bonne respiration et il était fin prêt pour un souper de famille en bonne et due forme. Malgré les apparences, il aimait bien ces soupers. En effet, depuis qu’il avait changé de ville, il voyait beaucoup moins sa famille. Ces soirées étaient l’occasion de voir ses deux frères, sa sœur et son père. C’était devenu d’autant plus important depuis le décès subit de sa mère. 

Après avoir été accueilli, il s’installa à la table et se mit à jaser avec sa sœur. Étrangement, il était pratiquement plus à l’aise seul avec elle qu’avec toute la famille. Pourtant, il était autant à l’aise avec son père ou un de ses frères. Pendant le souper, bien qu’il n’avait pas son déguisement, le mime resta fidèle à son personnage et se contenta, la plupart du temps, d’écouter. Par contre, cette fois, ce n’était pas vraiment de la gêne.

En fait, c’était surtout qu’il ne trouvait rien de pertinent à dire. Rien de drôle, rien pour compléter la discussion. Toutefois, il arrivait que quelque chose lui vienne à l’esprit. Mais malheureusement, il n’arrivait pas à trouver la bonne seconde pour commencer sa phrase. Quelqu’un d’autre commençait à parler avant et rapidement, la discussion changeait et il était trop tard pour son anecdote. Une fois de plus, il avait entendu la phrase résonner dans sa tête, sans que rien ne sorte. 

Il adorait conduire la nuit. L’homme baissait la fenêtre du côté passager, faisait jouer sa liste de lecture favorite et se laissait entraîner dans la musique. L’ambiance froide et humide de la nuit de septembre qui s’engouffrait dans l’habitacle de la voiture était ce qu’il préférait. Le mime se stationna finalement et resta quelques minutes assis dans son banc avant de rentrer. En rentrant chez lui, il regarda l’heure que son poêle lui indiquait. 2H43. Quand même. Au moins le lendemain, il n’avait rien de prévu, c’était dimanche. Il s’endormit en quelques minutes. 

Quoi? Que pouvait-il bien faire au cirque un dimanche? Il regarda autour de lui sans trop comprendre. Il semblait attirer encore plus les regards qu’à l’habitude. Très nerveux, il commença à marcher d’un bon pas. En passant devant un miroir, il nota qu’il était déjà habillé en mime. Pourtant, il ne mettait jamais ses vêtements de scène pour répéter son numéro… Il remarqua alors un autre détail plutôt étrange. Bien qu’il n’entendait aucune voix, des phrases apparaissait et disparaissait aussi vite en temps réel au-dessus de la tête de tout le monde. Il ralenti le pas et très doucement, il recommença à entendre des voix. Il fut surpris de voir que les textes qu’il lisait ne concordait pas avec ce que les gens disaient. C’était beaucoup plus direct, beaucoup plus cru.

Alors que son cœur battait de plus en plus fort et que sa vision devenait de plus en plus embrouillée, il comprit qu’il pouvait lire tout ce que les gens pensaient de lui. Il était complètement assommé. Les larmes se mirent à couler sur ses joues alors qu’au-dessus de la tête de Caroline, une fille de la comptabilité, il lut qu’il la faisait fondre avec son air mystérieux. Il se rendit aussi compte que pratiquement aucun collègue ne le détestait.

En fait, le pire texte qu’il lut était qu’il laissait un tel indifférent, ou que c’était dommage qu’il était autant renfermé sur lui-même et qu’il était sans doute sympa. Puis, le mime ouvrit les yeux. Son cœur battait à 10 000 à l’heure. Couvert de sueur, il sentit des larmes sur ses joues. Il prit plusieurs minutes à se ressaisir. Au bout de trente minutes, il put s’asseoir sur le bord de son lit. 

Il sentit que quelque chose s’était brisé. Sa limite avait été atteinte. Il s’habilla et fit très lentement le tour de son condo. Qu’avait-il à perdre à aller parler aux gens? Pourquoi ce mur avait pris autant de place? Avec une toute nouvelle flamme qui l’habitait, il entreprit de faire le ménage du salon. À partir de cette seconde, ça en était finit du mime. 

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