La peur des miroirs

Cette fois, il tourna de nouveau à droite, encore vers ce mur. De toute évidence, ce labyrinthe n’avait pas de fin. Le gars se passa une main sur le visage. Sans s’en rendre compte, il essuya les larmes qui coulaient le long de ses joues; il constata que sa barbe était plus longue qu’il pensait. Il était exténué. Il n’en pouvait plus de courir sans cesse. Il n’avait aucune idée de la façon dont il s’était retrouvé ici, mais il détestait cet endroit. C’était comme une immense maison remplie de miroirs. La seule différence flagrante se situait au niveau du plancher : une immense ligne rouge qui parcourait le bas de chaque miroir et qui lui permettait de courir sans entrer en collision avec ceux-ci. Bien que les murs semblaient monter incroyablement haut et qu’il ne distinguait pas de plafond, la chaleur était étouffante.

Il détestait se regarder dans des miroirs. Bien que l’image qu’il projetait était généralement bonne et bien accueillie par les gens, il n’aimait pas ce qu’il voyait. Il courait en ce moment même pour sortir de ce labyrinthe et ne plus distinguer dans la glace celui qui, malgré les efforts qu’il faisait, continuait de se décevoir et de décevoir son entourage. Cette impression le démoralisait et, tranquillement, sans trop s’en rendre compte, son estime de soi s’était mise à en souffrir. Et maintenant, il avait développé une peur des miroirs, simplement parce que lorsqu’il regardait son reflet, il avait cette monstrueuse impression que celui qu’il voyait n’allait jamais être meilleur en ébénisterie, n’allait jamais être bon en cuisine, en plus de sans doute être exécrable s’il se mettait à jouer à un jeu vidéo. Il n’avait jamais été très sociable. Trop gêné. Dans un sens, il détestait être si difficile d’approche. Il aurait beaucoup donné pour avoir de la facilité à aller vers les gens.

Il arrêta. Il ne pleurait plus et se calma un peu. Il ne savait toujours pas comment sortir d’ici, mais il raisonnait comme un enfant, il le savait bien au fond. Il avait de la difficulté à se l’avouer, mais il n’allait rien régler en passant son temps à se plaindre. Il n’y avait pas grand chose à faire mis à part travailler plus fort sur tous ces points que la moyenne. En plus, il voulait être fier de lui et se dire qu’il avait réussi à s’améliorer. Il tourna à sa gauche. Il était dans sa bulle et ne portait pas attention au sol. Il botta quelque chose. Il sursauta et regarda l’objet qu’il avait botté comme un ballon. C’était un très beau modèle de pistolet. Il ne s’y connaissait pas vraiment et n’aurait pas su dire le nom du modèle, mais il le trouvait très beau. Il valait sans doute assez cher. Il le prit délicatement dans ses mains. Lorsqu’il l’ouvrit, il constata qu’une seule balle s’y trouvait. Cela ne l’étonna pas vraiment. Il s’y attendait et il connaissait l’option qui s’offrait à lui. Il referma le pistolet et l’observa longuement. Puis, lentement, il fît un effort pour se regarder dans un de ces affreux miroirs.

Qu’est-ce qui pourrait être le plus décevant pour ses proches dans les prochaines années? De savoir que, devant des difficultés, il avait préféré en finir, et ce, même s’il avait une amie merveilleuse et un grand nombre d’amis? Ou de savoir qu’il s’était relevé les manches et qu’il était retourné travailler dans son domaine, qu’il avait fait des efforts pour devenir sociable et qu’il s’était mis à suivre des cours de cuisine? Peut-être allait-il même devenir respectable dans les jeux vidéos? Pourquoi pas, s’il s’y mettait sérieusement pendant ses temps libres?

Alors seulement, il entendit des pentures grincer. Il se retourna, de nouveau surpris qu’il y ait un son dans cet étrange endroit. Une porte cachée s’était ouverte. Elle était invisible à cause du miroir qui la couvrait complètement, exactement comme tout le reste du mur était couvert. Alors, il comprit. Ce labyrinthe n’avait pas de sortie. Il continuerait de chercher éternellement et on retrouverait un cadavre mort de faim et de soif, on retrouverait un cadavre percé d’une balle, pistolet à la main, ou il raisonnerait intelligemment et il s’en tirerait…

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